Gerard Viale Auteur

Gerard Viale Auteur

La quotidienne de Laurent Joffrin

La lettre politique de Laurent Joffrin

 

 

Affaire Fillon : le complot imaginaire

 

Le complotisme est une plaie. On observe ses ravages, le plus souvent, au sein des courants extrêmes, de droite ou de gauche, parmi les obsédés de la «contre-info» sur le Net ou encore chez une partie des gilets jaunes. Cette recension est insuffisante : il y a aussi un complotisme des élites. L’affaire Fillon en est l’illustration frappante.

Mis en cause par le Canard enchaîné, puis par un nombre respectable de journaux relayés par les médias audiovisuels, François Fillon avait aussitôt dénoncé une sombre coalition ameutée contre lui. Pour lui, comme pour nombre de ses partisans, il était clair qu’on avait décidé de l’éliminer pour interrompre par des moyens obliques son irrésistible course vers l’Elysée. Un certain nombre de journalistes et de juges, suggérait-il avec insistance, objectivement ou subjectivement complices dans cette entreprise, avaient opportunément sorti une affaire subalterne, indûment montée en épingle, pour fausser la présidentielle et priver le favori d’une victoire probable. Solennellement, à la télévision, le candidat de la droite avait même désigné sans ambages un «cabinet noir» sis à l’Elysée et chargé des basses besognes de la hollandie. Tout cela, ajoutait-il, s’effondrerait dans l’inanité quand il aurait produit les «preuves» de son immaculée blancheur et de la cynique noirceur de ses adversaires.

Deux ans plus tard, le complot ainsi décrit avec force indignation s’est évanoui comme la rosée du matin. Ce fut d’abord l’aveu consenti par Marc Ladreit de Lacharrière pour s’épargner un procès public : oui, il avait bien rémunéré, pour ne rien faire ou presque, Penelope Fillon, épouse du candidat placée au centre du scandale. Il confirmait ainsi les enquêtes de presse menée autour la Revue des deux mondes, qui avait bien fourni un revenu à cette pigiste avare de piges, en échange de notes de lectures aussi étiques que rarissimes. Nul complot, donc, dans cette mise sur la place publique d’un comportement irrégulier reconnu par celui-là même qui l’avait accepté.

C’est maintenant la justice, dont on disait, avec maints sous-entendus, qu’elle serait contrainte d’enterrer l’affaire faute d’éléments, qui a approfondi, recoupé, vérifié les accusations du Canard et des autres enquêteurs de presse. On ne saurait préjuger du procès à venir, sinon en disant qu’il aura bien lieu, contrairement aux prophéties mythomaniaques des fillonistes. Les magistrats du siège apprécieront les charges détaillées par leurs collègues de l’instruction. Mais la lecture des extraits de l’arrêt de renvoi est édifiante. Dans leurs conclusions, les juges et les enquêteurs, au terme d’une longue investigation, reprennent – et même amplifient – les accusations documentées produites dans les journaux de l’époque. Pour eux, il est clair que Penelope Fillon a bien bénéficié d’emplois fictifs répétés pendant de longues années, pour une somme rondelette, sans que le couple ait pu leur fournir d’arguments convaincants pour réfuter cette thèse. Quant au «cabinet noir», il s’avère aussi fantomatique que la contribution de l’épouse au travail parlementaire de son mari. Autrement dit, la thèse du complot apparaît pour ce qu’elle était : une diversion rhétorique destinée à discréditer les accusateurs faute de pouvoir contredire les accusations.

Au passage, s’effondre aussi l’idée si souvent reprise d’une «connivence» entre la «caste journalistique» et la classe politique. Comme dans l’affaire Cahuzac, et comme dans tant d’autres scandales politico-financiers, c’est le travail de révélation des journaux qui est mis en lumière, si dommageable aux hommes politiques indélicats. C’est-à-dire le contraire de la «connivence». Ainsi, il était juste, utile à la rectitude démocratique, qu’on s’intéressât de près aux pratiques d’un candidat qui avait lancé sa candidature en dénonçant son rival de l’époque par cette phrase définitive : «Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ?» Le Général, non. Mais François Fillon, oui.

 

LAURENT JOFFRIN

 

 



25/04/2019
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