Gerard Viale Auteur

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La quotidienne de Laurent Joffrin

La lettre politique de Laurent Joffrin

 

 

La confusion populiste

 

Le ralliement d’un élu régional de la France insoumise, Andréa Kotorac, au Rassemblement national de Marine Le Pen gêne le mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Mais pas exactement comme on croit.

Certains en profiteront pour alimenter la thèse simpliste des «extrêmes qui se rejoignent» et accuseront LFI d’ambiguïté politique sur ce point. Mauvais procès. Certes, les critiques virulentes du tribun insoumis envers l’Union européenne ressemblent parfois à celles du RN, tout comme son penchant russophile ou encore son aveugle soutien aux «gilets jaunes» de toutes les couleurs. Mais ces traits communs ne valent pas complicité. Jean-Luc Mélenchon a passé sa vie à gauche, du trotskisme à la social-démocratie puis à la gauche radicale. Celui qui débute un meeting par une minute de silence en mémoire des migrants disparus en Méditerranée peut difficilement être taxé de lepénisme rampant.

En revanche, cette défection ponctuelle met une nouvelle fois en lumière la confuse ambiguïté du «populisme de gauche». Théorisée par des sociologues et des philosophes, mais surtout par Mélenchon lui-même, ce concept oxymorique remplace le vertical par l’horizontal. Le populisme postule que la coupure principale oppose désormais, non la droite et la gauche (même si la distinction demeure), mais, selon une fracture horizontale, le bas et le haut de la société, «le peuple» et «les élites».

Problème : quel peuple, quelles élites ? Le peuple est-il avant tout social, mobilisé par l’injustice d’une société trop inégalitaire ou bien se reconnaît-il au premier chef dans la défense de l’identité nationale ? Les populistes, en fait, dans un tour de passe-passe idéologique, projettent leurs convictions – ou leurs préjugés – sur ce peuple artificiellement réuni, alors qu’il est essentiellement divisé. Chaque populiste a son peuple, qui n’est pas le même selon le parti qui s’en réclame. En l’occurrence, identitaire pour le RN, égalitaire pour LFI. Même chose pour «les élites». S’agit-il de l’élite de l’argent, de l’Etat, de la politique, du savoir, des médias ? Amalgame, brouillage et confusion. Si l’on choisit l’acception la plus large, les élus LFI, par leurs revenus, leurs responsabilités, leur visibilité médiatique, leur fonction de législateurs, font eux-mêmes partie «des élites». Schizophrénie garantie.

La gauche a depuis longtemps résolu la question par un raisonnement simple : il s’agit, non pas de mobiliser sommairement «les petits contre les gros», mais de bâtir, autour de valeurs claires et de programmes articulés, une coalition sociopolitique qui comprend les classes populaires ralliées à la cause (elles ne le sont jamais entièrement), les classes moyennes «conscientisées» et la fraction des classes supérieures qui adhèrent au projet politique progressiste. Par son flou sociologique, par son brouillage idéologique, le populisme, serait-il «de gauche», favorise les rapprochements baroques, les alliances contre nature, les malentendus stratégiques. D’où la défection de ce jeune Kotorac, ex-chevau-léger de la gauche radicale devenu supplétif de l’intolérance nationaliste. C’est pour l’instant un «signal faible». Mais entre «populiste» et «de gauche», Mélenchon devra bien trancher un jour.

LAURENT JOFFRIN

 

 

 



16/05/2019
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