Gerard Viale Auteur

Gerard Viale Auteur

La quotidienne de Laurent Joffrin

La lettre politique de Laurent Joffrin

 

 

Quand la gauche joue sa peau

 

D’abord un geste hygiénique : se débarrasser du tombereau de calomnies déversées sur l’Union pendant cette cam­pagne. Antidémocratique, ­l’Europe ? Cette élection prouve le contraire : à la proportionnelle, chaque voix compte ­et colorera en rose, en rouge, en noir ou en vert le futur ­Parlement. Grâce au traité de Lisbonne, plus démocratique que le précédent (à l’inverse des idioties qu’on dit sur lui), les députés décideront des ­directives communes et influeront sur la nomination des principaux responsables de l’Union. Pas rien.

Bureaucratique, l’Union ? Baliverne. Ce n’est pas «la bureaucratie» qui rend les choses difficiles, c’est le souci démocratique. Quand elle agit, l’Union doit tenir compte des députés, de la société civile sans cesse consultée, mais aussi des gouvernements nationaux. L’Europe n’est pas l’horrifique Léviathan décrit dans les tracts souverainistes. C’est une association d’Etats souverains dotée d’un Parlement élu et d’une Commission désignée par des élus. Cette triple légitimité ­complique la décision, d’où le manque apparent de démocratie qui recouvre en fait un scrupule démocratique.

Ultralibérale, l’Europe ? Vaste blague. C’est la région du monde où l’Etat-providence est le plus développé, où les normes sociales et environnementales sont les plus contraignantes, où l’agriculture est la plus encadrée, où les syndicats sont les plus puissants, où la distribution des revenus est la moins inégalitaire. Pas ­assez verte ? Encore trop libérale ? C’est le débat. D’où la nécessité, plutôt que cultiver ­l’anathème, de peser par le vote. D’autant que par un détour paradoxal –?l’affaiblissement de la droite classique, les bons résultats socialistes en Espagne, aux Pays-Bas, les succès écologistes en Allemagne et ailleurs?–, le scrutin peut donner l’occasion aux sociaux-démocrates et aux Verts, s’ils s’allient, de se retrouver au centre de gravité des ­futures coalitions.

Malgré la très probable montée des nationa­listes, la gauche européenne peut donc se rétablir. La gauche française, elle, peut disparaître. On dissertera sur le duel ­Macron-Le Pen, qui a son importance. Mais en cas d’insuccès, Macron continuera à gouverner. Et si le RN le surpasse, les conséquences sur le Parlement européen seront nulles : les lepénistes ne font rien dans l’Union et l’Union ne fait rien avec eux. On disséquera aussi la mini-remontada de la droite classique, qui permettra de ne pas désespérer Versailles et au Figaro de déchaîner les grandes orgues. Intéressant pour l’avenir, mais sans conséquences décisives.

Reste la gauche : elle joue sa peau. ­Créditée d’à peine 30?% des voix, elle arrive au scrutin comme un troupeau à l’abattoir. Dans une hypothèse noire, elle peut se ­retrouver lundi matin avec trois formations sans députés –?les socialistes, les hamonistes et les communistes?–, tandis que les deux autres, Verts et insoumis, plafonneraient à 8?% ou 9?%. Deux nains dans un champ de cadavres. Est-ce souhaitable ? Tout électeur progressiste doit se poser la question. Mais sans un sursaut minimal, il se prépare à gagner le balcon de l’histoire politique, d’où il regardera, impuissant et amer, Macron, Le Pen et Wauquiez se disputer le pouvoir. S’il décide de se mobiliser, en revanche, la survie est possible. Il peut choisir l’aventure dégagiste avec Mélenchon, l’écologie pur beurre avec Jadot, en espérant que l’un des deux pourra ensuite s’ouvrir et fédérer un camp de gauche rénové. Il peut aussi juger qu’un réformisme rénové est nécessaire à l’ensemble et porter Glucksmann, Hamon ou Brossat au-dessus de 5?%. Bref, votez ce que vous voulez. Mais sauvez, non la gauche, mais la possibilité d’une gauche.

LAURENT JOFFRIN

 

 



25/05/2019
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 7 autres membres