Gerard Viale Auteur

Gerard Viale Auteur

La quotidienne de Laurent Joffrin

La lettre politique de Laurent Joffrin

 

Venezuela : l'essence du populisme

On a déjà cité dans cette lettre la vieille blague soviétique : «Le Parti communiste prend le pouvoir au Sahara ; au bout d’un an, il ne se passe rien ; au bout de deux ans, pénurie de sable.» Ce n’est plus une blague au Venezuela, qui détient les plus grandes réserves de pétrole au monde : «Maduro prend le pouvoir ; au bout de trois ans, pénurie de pétrole.»

Dans ce pays où il y a autant d’or noir que de sable au Sahara, le régime chaviste vient d’instaurer un sévère rationnement de l’essence, qui oblige les Vénézuéliens à des files d’attente interminables devant les stations-service (celles qui restent ouvertes, du moins). Maduro accuse les sanctions – très réelles – imposées au pays par les Etats-Unis. Mais ce n’est qu’un des facteurs de la crise. En fait, le déclin de la production pétrolière a commencé en 2015. En cause : l’incurie du régime, la corruption et un manque dramatique d’investissements dans l’appareil de production pétrolière, dans un pays où l’essence est quasiment gratuite. L’essence est toujours gratuite, dira-t-on. Avec cette nuance : il n’y en a plus.

Ce n’est qu’un des aspects de «l’expérience chaviste» qui ressemble de plus en plus à ces expériences qu’on fait parfois sur les souris en laboratoire, transformant les pauvres Vénézuéliens en cobayes du populisme de gauche. Le gouvernement a publié il y a dix jours les vrais chiffres de l’économie. Ils sont cataclysmiques. Le produit intérieur brut a été divisé par deux en quelques années, une chute jusque-là réservée aux pays ravagés par la guerre. L’inflation est estimée en 2019 au chiffre vertigineux de 10 millions pour cent. En fait le bolivar a disparu comme monnaie d’échange et de réserve. Les Vénézuéliens fuient massivement devant la monnaie. Dans ce pays habitué à une rhétorique anti-américaine musclée (et parfois justifiée), la seule monnaie fiable est… le dollar, qu’on s’échange au marché noir à des taux prohibitifs. Les transactions sont bloquées ou fortement ralenties et le contrôle des prix n’a d’autre effet que de handicaper la production (les prix sont bloqués, mais pas les coûts de production : les entreprises sont étranglées). La population vit sous le coup d’une pénurie meurtrière de médicaments et de nourriture qui a provoqué l’exil de quelque deux millions de personnes. Elle vit une grande partie du temps dans le noir en raison de pannes d’électricité géantes, elle a peur de tomber malade sans pouvoir être soignée. Elle passe le plus clair de son temps à rechercher les produits de première nécessité, songe à l’exil et voit son avenir bouché par la corruption et le dogmatisme autoritaire de Maduro. Une réussite exemplaire du «populisme de gauche».

La cause principale de ce désastre est connue : la dilapidation des revenus du pétrole, l’impéritie gestionnaire d’un régime corrompu et clientéliste, l’incapacité à diversifier l’économie, outrageusement dépendante du pétrole, le recours à des déficits massifs pour financer les dépenses publiques. La création monétaire a déclenché une hyperinflation qui fausse toutes les règles d’échange et de production. On dénonce à juste titre les injustices et les excès du libéralisme. On parle moins des désastres entraînés par l’antilibéralisme sommaire, qui jette par-dessus les moulins toutes les règles élémentaires de l’économie, croit que le déficit est un investissement, la création monétaire un remède toujours bénéfique, et confond Keynes et Salvador Dalí. L’économie vénézuélienne présente un tableau surréaliste. Pour le peuple dont on se réclame sans cesse, c’est une toile de Jérôme Bosch.

LAURENT JOFFRIN

 

 



10/06/2019
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 7 autres membres