Gerard Viale Auteur

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La quotidienne de Laurent Joffrin

Burkini, le retour

 

Cette grotesque et subalterne affaire du burkini refait une nouvelle fois surface, cette fois dans une piscine de Grenoble. Une escouade de naïades encapuchonnées ont défié les autorités locales en se jetant dans l’eau sans prévenir, au risque d’éclabousser les principes de la République. Aussitôt on s’arme de solennité fiévreuse. La droite crie au complot islamiste ; la gauche naïve, voyant que le maire maintient la prohibition du burkini dans ses piscines, dénonce une atteinte aux droits fondamentaux, parmi lesquels celui de nager tout habillé. Des farceurs aux arrière-pensées laïques ou antimusulmanes (on ne sait) annoncent qu’ils plongeront désormais en tenue non d’Eve mais d’Adam, ancêtre commun aux trois religions du livre, mais plongeon tout aussi contraire à la loi. Bref, cette affaire de maillots de bain à manches tourne à la pantalonnade.

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On croit qu’on a touché le fond mais, pourtant, la querelle est plus complexe qu’on pourrait le croire. Quand on y regarde de près, on s’aperçoit que la réglementation des bains en piscine, sous les auspices d’un Etat par la force des choses hygiéniste, est extrêmement tatillonne. Il faut obéir, quand on veut offrir aux citoyens le plaisir de se baigner dans un bassin artificiel, à une foultitude de règles destinées à protéger la santé des baigneurs. Qualité de l’eau, innocuité des produits antimicrobiens, équipements de propreté et de sécurité, comportement des baigneurs, tout est soumis à des décrets minutieux, que les maires sont sommés d’appliquer avec exactitude. Il est ainsi prévu que les vêtements trop lâches (caleçons, bermudas, shorts, etc.) sont strictement interdits : on les soupçonne de receler dans leurs plis douteux toutes sortes de germes nocifs à la santé. Très logiquement, les vêtements du même genre portés par des femmes (et donc le burkini, caleçon géant), sont eux aussi proscrits.

On peut trouver cela ridicule, mais il semble bien que les piscines, si elles ne sont pas soumises à des règles d’hygiène draconiennes, se transforment vite en bouillons de culture. C’est la raison pour laquelle les piscines de Grenoble, objets de la controverse, sont réglementées de la même manière que tant d’autres. Par un maire xénophobe, islamophobe, intolérant ? Non, par Eric Piolle, édile écologiste qui gouverne la bonne ville de Grenoble avec une coalition de gauche et qu’on peut difficilement taxer de penchants racistes ou discriminatoires.

Imperméables à ces considérations, les sectatrices du burkini stigmatisent une discrimination scandaleuse, qui écarterait les musulmanes de ces bassins bienfaisants (alors que la grande majorité d’entre elles se baignent comme tout un chacun – ou chacune – en maillot de bain). N’ayant peur d’aucune outrance, ces dissidentes invoquent la mémoire de Rosa Parks, militante américaine antiségrégation à l’époque de Martin Luther King. Comparaison comique : on ne sache pas que les musulmans en France soient interdits d’université ou bien empêchés de voter par des lois iniques et encore moins soumis aux exactions du Ku Klux Klan avec la complicité des autorités locales, situation qui prévalait dans l’Amérique des années 50.

En fait, ces activistes exigent une dérogation aux règles d’hygiène au motif qu’elles heurtent leurs convictions religieuses. D’où la réticence d’Eric Piolle, qui a refusé de modifier les règlements des piscines grenobloises et n’entend pas reculer sous la pression de baigneuses qui se placent volontairement dans l’illégalité. Il demande seulement que la situation juridique des nageuses en burkini soit éclaircie sur le plan national avant de trancher. Ce qui n’a pas empêché Marlène Schiappa de fustiger son attitude, pourtant logique, dans la mesure où les lois nationales sont ambiguës. Le port de signes religieux est en effet légal dans l’espace public. Au nom de la laïcité, il est seulement interdit dans les administrations et à l’école, de manière à garantir la neutralité de l’Etat.

Nous avons donc affaire à un conflit de normes : l’hygiène doit-elle l’emporter sur la religion, ou bien faut-il y déroger pour respecter les croyances ? Telle est la question. De tempérament laïc, l’auteur de cette lettre préfère la première solution : la loi est la même pour tous et toutes, serait-elle hygiéniste. Mais si cette loi est modifiée pour tolérer le burkini (propre) dans les piscines, la République y survivra. On admettra surtout, dans cette optique, que ladite République a d’autres chats à fouetter.

 

LAURENT JOFFRIN

 



28/06/2019
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