Gerard Viale Auteur

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La quotidienne de Laurent Joffrin

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Les «antisystèmes» du système

Proclamer la naissance du nouveau monde… pour préserver l’ancien. La désaffection des électeurs envers les partis traditionnels et l’apparition de nouvelles têtes dans la plupart des démocraties viennent illustrer une nouvelle fois la très classique maxime du prince de Salina dans le Guépard «Il faut que tout change pour que rien ne change.»

Jusqu’à une date récente, il était entendu qu’il y avait d’un côté les «hommes (ou les femmes) du système» – en gros, la classe politique traditionnelle, vouée à la conservation ou à la réforme prudente de l’état des choses –, et, de l’autre, une escouade bigarrée d’outsiders sommaires et brutaux portés au pinacle par la vague populiste. Trump aux Etats-Unis, Bolsonaro au Brésil, Orban en Hongrie, Le Pen en France, Farage ou Johnson en Grande-Bretagne, Duterte aux Philippines, incarnaient ce type de leaders forts en gueule, démagogues, intolérants et souvent xénophobes.

Décidément créative, la politique démocratique a inventé, peut-être comme un antidote, une nouvelle forme de responsables politiques, tout aussi étrangers à la classe politique d’antan, mais tenants de politiques furieusement «mainstream». Emmanuel Macron fut le premier d’entre eux, franc-tireur inconnu du grand public, jamais élu auparavant, qui a battu à plate couture les caciques de «l’ancien monde», promis une «révolution» pour mener une politique traditionnelle, pro-européenne et de centre droit, à coups de réformes inspirées d’un libéralisme mâtiné de social, tout à fait conforme aux vœux de l’establishment français. «Révolution» de courte durée : trop pressé dans sa première année, ayant dressé contre lui une bonne partie de la population, Emmanuel Macron ralentit le rythme des réformes, cherche l’appui des corps intermédiaires, multiplie les consultations, jusqu’à marcher somme toute dans les pas de son prédécesseur Hollande qu’il avait voué aux gémonies.

De la même manière en Ukraine, un comédien, rendu célèbre par une série télévisée, balaie dans une campagne éclair le paysage politique ancien, suscite un raz-de-marée électoral, prend le contrôle du Parlement, pour lancer au bout du compte une politique fort prudente de réformes intérieures, de rapprochement avec l’Union européenne et l’Otan, et de discussions plutôt accommodantes avec le voisin russe. Tout le contraire d’un casseur d’assiettes.

En Italie, après avoir piloté tant bien que mal un attelage infernal entre la Ligue d’extrême droite et le mouvement Cinq étoiles, Giuseppe Conte, Premier ministre sorti de nulle part sinon d’une université, prend soudain une épaisseur politique, désavoue Matteo Salvini et se retrouve à la tête d’une coalition de centre gauche qui annonce son intention de renouer avec l’Union européenne et de gouverner avec sagesse l’économie du pays.

Ainsi «le système» a-t-il finalement produit des «antisystèmes» dédiés à la préservation du «système». Joli tour de passe-passe, qui a néanmoins son inconvénient : ainsi En marche, mouvement antisystème très vite institutionnalisé, suscite désormais en son sein ses francs-tireurs à leur tour lancés dans le même genre de brillante entourloupe. La macronie trop vite changée en parti classique, avec discipline de vote, investitures et commission électorale, voit naître en son sein une dissidence spectaculaire en la personne de Cédric Villani, candidat «antisystème» de «l’antisystème prosystème», qui se présente contre le candidat officiel d’En marche tout en se réclamant de l’esprit initial du mouvement. Dans plusieurs villes, Montpellier ou Sens par exemple, la même opération se dessine, qui verrait des macroniens se retourner contre la macronie pour se vêtir du manteau chatoyant de la dissidence à l’intérieur de la dissidence.

Du coup le «nouveau monde» prend un coup de vieux, relégué dans les limbes d’un changement déjà flétri par des adeptes du «changement dans le changement», le tout pour faire à peu près la même chose. Ce qui tend à prouver que cette distinction ébouriffante entre «nouveau monde» et «ancien monde» n’est qu’une vaste faribole. La question est moins de savoir si une politique est neuve ou classique, mais si elle est juste, efficace et conforme aux intérêts du peuple. Mais ce sont sans doute là critères tristement anciens…

Effrayés par la possible multiplication des Villani, les responsables d’En marche crient à la trahison, ce qui n’est guère audible dans la mesure où ils ont eux-mêmes bâti leur succès sur une trahison précédente. Ils peuvent désormais méditer sur cette question ironique et profonde à la fois : trahir un traître, est-ce trahir ?

LAURENT JOFFRIN



10/09/2019
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