Gerard Viale Auteur

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La quotidienne de Laurent Joffrin

La quotidienne de Laurent Jofrin

 

 

 

La lettre politique de Laurent Joffrin

 

La conversion de Mark Zuckerberg

Il a mis une bonne décennie à s’en apercevoir. Avec une benoîte candeur, Mark Zuckerberg, patron de Facebook, vient d’admettre dans une tribune publiée par plusieurs journaux, (le JDD en France) que les Etats démocratiques doivent intervenir plus énergiquement pour réguler les réseaux sociaux. «Je suis convaincu que les gouvernements et les régulateurs doivent jouer un rôle plus actif», a-t-il écrit, entre autres. Touchante conversion.

Cette déclaration n’est pas seulement la tardive reconnaissance d’une aberration qui faisait des Gafa, hors de tout contrôle démocratique, les maîtres tout-puissants d’une bonne partie de la communication, du commerce et de la culture à l’échelle mondiale. Elle officialise aussi la mort de l’idéologie ultralibérale – ou libérale-libertaire – qui entourait jusqu’ici le développement des réseaux sociaux et leur conférait, contre toute raison, la latitude du renard libre dans le poulailler libre.

Facebook a récemment dû admettre que des milliards de mots de passe personnels utilisés par ses clients étaient en fait accessibles à ses employés, leur donnant accès à la vie privée d’une bonne partie de l’humanité. La firme a aussi fait amende honorable après avoir laissé circuler sur le réseau la vidéo filmée par le tueur de Christchurch pendant son insoutenable forfait. Elle a promis de bannir de ses réseaux les contenus liés à l’idéologie suprémaciste et raciste dont se réclamait le tueur qui a endeuillé la Nouvelle-Zélande. Un peu tard, jeune homme…

Les Gafa ont aussi commencé à comprendre que leur manie de ne pas payer l’impôt en profitant des failles de la législation internationale atteignait une limite. Plusieurs Etats européens ont décidé de les taxer,non sur leurs bénéfices, aussi colossaux qu’insaisissables, mais sur le chiffre d’affaires qu’ils réalisent dans les pays concernés.

Ils s’aperçoivent aussi que leur position monopolistique dans plusieurs domaines contredisait l’esprit de la concurrence qui est censé régir les économies modernes. Plusieurs amendes records, notamment celles décidées par l’Union européenne sous l’impulsion de Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence, contre Apple et Google, pour manquement aux règles de la loyauté d’entreprise, les ont récemment frappées là où leur cerveau réagit le plus vite : au portefeuille.

Le Parlement européen vient aussi de voter une directive de bon sens qui les obligera, si elle est transposée dans les législations nationales, à mieux respecter le droit d’auteur des artistes et à partager une petite partie de la manne numérique avec les journalistes, qui sont les vrais producteurs des contenus d’information que Google et les autres diffusent et dont ils font gros argent.

Jusqu’ici, une rhétorique perverse de la liberté sans frein avait fait du monde numérique une sorte de Far West du signe, au détriment des artistes, des journaux, et au bout du compte, des consommateurs et des citoyens. Le «vieux monde», pourtant, avait depuis longtemps réglé au bénéfice commun les problèmes posés par la diffusion libre des œuvres et des informations. Les journaux, par exemple, sont tenus pour responsables des contenus haineux ou racistes qu’ils véhiculent. La loi sur la presse de 1885 a établi un juste équilibre entre la précieuse liberté d’expression et les excès auxquels elle peut donner lieu. Tout est libre par principe, dit-elle, à l’exception de trois ou quatre types d’écrits ou d’images, préalablement répertoriés (appels au meurtre, diffamation, racisme, etc.), dont un directeur de la publication doit répondre devant la loi.

Se présentant comme un simple outil de circulation, les plateformes mondiales avaient jusque-là dénié toute responsabilité dans les contenus qu’ils diffusaient, assimilant leur rôle de celui d’une poste, qui ne saurait être incriminée pour le contenu des lettres qu’elle distribue. Position parfaitement hypocrite : dans le même temps, les Gafa intervenaient directement dans lesdits contenus aux termes de règles qu’ils étaient seuls à édicter. Ainsi on occultait les seins nus mais on laissait passer les croix gammées, selon un système arbitraire de privatisation de la censure. Zuckerberg reconnaît aujourd’hui que ce système ne marche pas et appelle à des lois démocratiques pour réguler son activité. Ce que tout familier de la presse ou de l’édition savait depuis plus d’un siècle.

Le même vieux monde avait établi, au terme d’une longue bataille où se sont illustrés entre autres Beaumarchais et Hugo, le principe du droit d’auteur, qui réserve un juste contrôle du créateur sur l’usage de sa création. Insupportable limitation, avaient décrété les Gafa et leurs supplétifs libertaires aveuglés par l’idéologie ultralibérale des réseaux. Curieusement, ils se gardaient d’appliquer cette radicalité libertaire à leurs propres créations : les algorithmes qu’ils élaborent dans la pénombre de leurs bureaux d’études sont des secrets mieux gardés que le code nucléaire. Vérité en deçà de l’écran du portable, erreur au-delà. L’Union européenne, encore elle, vient d’enfoncer un coin dans cette arrogante exception en votant sa directive, malgré une action de lobbying intense des Gafa. La bataille, donc, continue, cette fois avec l’aide officielle de Mark Zuckerberg, qui consent du bout des lèvres à admettre qu’un capitalisme sans régulation se retourne immanquablement contre les citoyens.

LAURENT JOFFRIN

 

 



03/04/2019
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