Gerard Viale Auteur

Gerard Viale Auteur

La quotidienne de Laurent Joffrin

La lettre politique de Laurent Joffrin

 

Haro sur l'ENA

Il fallait un bouc émissaire : pourquoi pas l’ENA ? Etrange paradoxe de la scène française. On prend une sanction symbolique contre les hauts fonctionnaires, qui pourtant obéissent en tout point aux politiques, qui sont en général dévoués à l’intérêt public et qui sont, tout de même, rarement milliardaires. Dans le même temps, le bon peuple est convié à s’esbaudir de la générosité des vrais milliardaires, qui ouvrent leur cassette pour financer la reconstruction de Notre-Dame, mais qui, semble-t-il, portent une responsabilité dans les inégalités dont se plaignent les gilets jaunes et une bonne partie des Français. Haro sur l’Etat, vive le privé ! Drôle de conception de la République.

Réformer le mode de sélection des grands commis, pourquoi pas ? Leur représentativité sociale est faible (2% de fils d’ouvriers à l’Ecole nationale d’administration), il serait donc utile d’aller vers plus de diversité sociale. De même, la consécration précoce d’une mince phalange de super-fonctionnaires polyvalents, qui reçoivent à 25 ans l’oint du Seigneur qui leur garantit une carrière météorique, pratiquement quoi qu’ils fassent, pose un problème méritocratique. Le mérite s’apprécie aussi à l’ouvrage, pas seulement à la capacité à passer un concours difficile à la fleur de l’âge. Réforme, donc. Mais Emmanuel Macron, dans le texte qui a fuité depuis deux jours, parle de «suppression». Ce qui pose aussitôt la question : quoi donc à la place de l’ENA ? On se souvient que la création de l’école, préparée par Maurice Thorez, mesure emblématique voulue par les résistants qui ont changé le pays après la guerre, avait marqué un progrès républicain considérable. C’est ensuite que le système s’est dévoyé. Donc, s’il s’agit d’ouvrir le recrutement tout en conservant l’excellence technique, de moderniser l’enseignement, de diversifier les sources idéologiques des programmes, fort bien. Mais s’il s’agit de créer une autre ENA à la place de l’ENA, sans prévoir les mécanismes adéquats qui changeront sa composition sociale et ses modalités de promotion une fois les diplômes acquis, ou, pire, si l’on envisage de recruter sur dossier au nom de l’ouverture au privé, en perdant l’anonymat qui reste une condition de l’équité, on aura seulement, par un tour de bonneteau, fait des concessions inutiles au poujadisme ambiant.

LAURENT JOFFRIN

 

 



18/04/2019
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 7 autres membres