Gerard Viale Auteur

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La quotidienne de Laurent Joffrin

La lettre politique de Laurent Joffrin

 

 

Les piètres censeurs

 

Il arrive toujours un moment où l’ardeur sommaire de certains militants se retourne contre la juste cause qu’ils sont censés défendre. Il y a quelques semaines, une escouade de zélotes interdisait une pièce d’Eschyle sous le fumeux prétexte que certains masques portés par des actrices évoquaient le «blackface» utilisé par les Yankees de naguère pour moquer les Afro-Américains. Imputation ridicule pour une pièce prêchant l’hospitalité et la tolérance, mise en scène par un homme fort respectable aux opinions totalement étrangères au moindre racisme. Voici maintenant qu’une obscure pétition en ligne veut annuler l’hommage du Festival de Cannes à Alain Delon, obligeant Thierry Frémeaux, délégué général, à un plaidoyer public.

Comme toujours en matière de liberté d’expression, il ne s’agit pas de trouver soudain des vertus aux déclarations notoirement réactionnaires de l’acteur, un moment proche du FN, auteur de sorties machistes ou anti-homosexuelles tout à fait déplorables. Mais seulement de remarquer que si on interdisait tout hommage à Delon en raison de ses opinions, alors qu’il a de toute évidence marqué l’histoire du cinéma (voir ses prestations sous la direction de Clément, Melville, Losey ou Visconti), on risque d’ouvrir une liste noire kilométrique.

Quelques exemples d’acteurs aux convictions douteuses qu’il faudrait de toute urgence mettre à l’index : Brigitte Bardot, évidemment, trop proche du RN, Marion Cotillard et Mathieu Kassovitz, complotistes du 11 Septembre, Brisseau, acteur et metteur en scène qui vient de disparaître, condamné pour agression sexuelle, Woody Allen, pour les mêmes raisons, Clint Eastwood, réac californien notoire, Tom Cruise, ambassadeur de l’Eglise de scientologie, etc. Si l’on remonte dans le temps (comme on le fait pour Delon), Audiard doit immédiatement passer à la trappe pour homophobie, machisme, et pour pétainisme dans son jeune temps. Même tarif pour Arletty, Autant-Lara, Fresnay, Guitry et toute une pléiade de comédiens plus ou moins collabos pendant la guerre. Exeunt le Corbeaules Enfants du Paradis et bien d’autres, tous tournés avec la bénédiction de la censure nazie. Bref, n’en jetez plus, la cour pénale cinématographique est pleine.

Ce qui n’empêche pas de raconter, de commenter, de réfuter, de dénoncer. Simple rappel : en régime démocratique, c’est la loi qui interdit, qui censure, dans les cas préalablement définis (et peu nombreux). Non les militants ou les pétitionnaires.

 

LAURENT JOFFRIN

 

 



15/05/2019
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