Gerard Viale Auteur

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La quotidienne de Laurent Joffrin

        

La lettre politique de Laurent Joffrin

 

 

La France insoumise a «un problème»

 

Clémentine Autain est sortie du bois la première. Il y a, dit-elle, «un problème de ligne et de profil politique» à La France insoumise, qui a trop misé sur «le ressentiment, la haine, ou le clash permanent». Nostra culpa : «Sans doute avons-nous pris trop de distance avec un discours de gauche.»

«Problème» il y a, de toute évidence. Sur une ligne dégagiste, LFI a divisé par trois en deux ans le score de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle (de 18% à 6%). C’est l’effet des innombrables sorties de route volontaires des insoumis, toutes justifiées par la culture de l’anathème : agressivité permanente, dénigrement constant du reste de la gauche, procès en sorcellerie contre Jadot, «haine» assumée contre les journalistes de tous bords, vociférations grand-guignolesques contre une perquisition judiciaire, invocation rituelle d’un «raz-de-marée» populaire qui n’a jamais eu lieu, sauf avec le mouvement des gilets jaunes, parti tout seul, quand LFI n’appelait à rien ; déification compensatoire de certains leaders gilets jaunes aux options pour le moins ambiguës, discours européen incompréhensible consistant à prévoir une «sortie des traités» qui ne serait pas une sortie de l’Union, alors que l’Union est justement bâtie sur un traité, etc. A force de considérer que l’enfer, c’est les autres, tous traîtres, soumis ou vendus, on reste seul avec ses certitudes.

Problème plus large, d’ailleurs : le recul de la gauche radicale est général en Europe. La débâcle la plus spectaculaire a frappé le parti dégagiste Podemos, miné par les divisions, tombé à 10% en Espagne, après avoir perdu la plupart des villes conquises dans la foulée du mouvement des «indignés», dont Madrid et Barcelone, excusez du peu. Il n’est pas le seul. Au total, le groupe d’extrême gauche au Parlement européen est passé de plus de 50 sièges à moins de 40, représentant tout au plus 5% de l’électorat. Gauche radicale, gauche marginale. A force de dire non à tout, les énergies militantes se lassent et passent chez ceux qui disent oui à quelque chose. Elles ont gonflé le mouvement écologiste, qui se bat sur un programme positif de réformes immédiates et, au lieu de dénoncer mécaniquement tous les compromis, cherche des alliances européennes pour y parvenir.

C’est l’essence même du dégagisme qui est en cause. Le peuple d’un côté, les élites de l’autre : sommaire et faux. Les élites ne sont pas toujours réactionnaires ni le peuple progressiste. C’est en bâtissant une coalition «interclasses» qu’on réunit une majorité ou, à tout le moins, qu’on impose des réformes de progrès. C’est avec des civils qu’on fait des militaires, et donc avec des gens qui ne pensent pas comme soi qu’on élargit son influence. Sans quoi on reste au balcon à distribuer les excommunications. Le dégagisme a marché un temps. Il est usé, ou alors il profite aux nationalistes. LFI en avait fait un dogme, un leitmotiv, un ADN. Effectivement, il y a «un problème».

 

LAURENT JOFFRIN

 

 



29/05/2019
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