Gerard Viale Auteur

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La quotidienne de Laurent Joffrin

La lettre politique de Laurent Joffrin

 

 

Groucho à Downing Street

 

Au moins, on ne va pas s’ennuyer. Aux dernières nouvelles, Boris Johnson,le clownesque porte-parole du Brexit, a les meilleures chances d’être désigné leader du Parti conservateur. Aussi coloré et changeant que Theresa May était grise et obstinée, «BoJo» sera, dans cette hypothèse, le prochain Premier ministre du Royaume-Uni, enfin assis dans le fauteuil de son idole Winston Churchill, qu’il guigne pour ainsi dire depuis qu’il est né. Groucho Marx succéderait ainsi à Margaret Dumont, la pompeuse et un peu niaise souffre-douleur du burlesque quatuor.

Virtuose du retournement de veste, Johnson se présente comme le désormais champion du «hard Brexit», qui verrait le Royaume-Uni sortir de l’Union européenne sans accord. En 2016, deux jours avant de se prononcer contre l’Union, «BoJo» avait rédigé un vibrant plaidoyer pour le «remain». Il a été pris dix fois en flagrant délit de contradiction ou de mensonge. Journaliste trublion, il s’était distingué par ses sorties canulardesques contre la Commission de Bruxelles. Au moment du référendum de sortie, il avait mené une campagne antieuropéenne fondée pour l’essentiel sur des «fake news».

L’électorat ne lui en tient guère rigueur. Johnson a assis sa popularité comme maire de Londres, poste qu’il a occupé avec talent et inventivité. Son excentricité – qualité très prisée dans l’establishment britannique – a fait le reste. «Boris» fait rire et parle cash. En ces temps populistes, ce sont des armes redoutables, renforcées par un talent oratoire indiscutable.

Sa possible victoire sera néanmoins placée sous le signe d’un double et amer paradoxe. Johnson est un nationaliste ultralibéral. S’il fait ce qu’il annonce, le Royaume-Uni sortira de l’Union au forceps. Or cette position est minoritaire. L’opinion britannique se divise en fait en trois. Plus de 40% des électeurs (une majorité, même, selon les sondages) souhaitent rester dans l’Europe. Les autres forment deux camps : «hard» et «soft» Brexit. Boris Johnson se prépare donc à imposer à son peuple une solution dont il ne veut pas. Tel est le souverainisme en actes de l’autre côté de la Manche : il s’apprête à contredire brutalement la souveraineté populaire. Tout ce qu’on reproche habituellement aux pro-européens.

Deuxième paradoxe : les classes populaires pro-Brexit souhaitent une protection vis-à-vis de l’étranger. Elles réprouvent l’immigration, mais aussi l’ouverture des frontières aux produits importés, qui menacent les emplois traditionnels. Boris Johnson pense exactement l’inverse. Pour lui, le Royaume-Uni sorti de l’Union doit regarder vers le grand large, devenir une sorte de Singapour majuscule, à coups de baisses d’impôts et d’accords libre-échangistes. Soit une politique exactement inverse de celle qu’attendent les travailleurs brexiters du Yorkshire ou du Kent. Tel Gribouille, on vote contre l’ouverture européenne pour se précipiter dans l’ouverture mondiale. C’est l’habituel résultat du populisme : duper le peuple.

LAURENT JOFFRIN

 

 



20/06/2019
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