Gerard Viale Auteur

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Le faux triomphe de Tapie

 

La lettre politique de Laurent Joffrin

 

 

Le faux triomphe de Tapie

 

La vox mediatica pensait qu’il serait condamné : il est relaxé. Bernard Tapie a été blanchi par le tribunal pénal des accusations d’escroquerie portées à son encontre par le ministère public, de même que les prévenus qui comparaissaient avec lui. On peut penser ce qu’on veut de ce jugement mais il démontre, en tout cas, l’inanité des déplorations qu’on entend si souvent à propos de la justice française : acharnée, dépendante, politisée, coalisée contre les puissants des affaires ou de la politique. Tu parles… Tout dans l’atmosphère ambiante devait conduire à la condamnation de l’homme d’affaires. On pouvait penser, au vu des charges pesant contre lui, que cette affaire de tribunal arbitral avait été montée frauduleusement avec des magistrats circonvenus, au terme d’un lobbying compulsif mené par l’intéressé auprès du gouvernement et du président de l’époque. Le tribunal a dit le contraire. Pour condamner, les doutes, les soupçons, les déductions ne suffisent pas. Il faut des preuves. De toute évidence, elles n’étaient pas suffisantes : voilà une décision rendue en toute indépendance, hors de toute pression du pouvoir ou de l’opinion, sur des bases strictement juridiques.

Triomphe pour l’aventurier du business qui a occupé l’imaginaire français pendant de longues années ? Pas exactement. Celui qui se bat désormais contre un adversaire autrement cruel que la justice, dont les attaques malignes relativisent ses ennuis judiciaires, outre qu’il a été plusieurs fois condamné dans d’autres affaires, doit toujours rembourser les quelque 400 millions que lui avait attribués le tribunal arbitral. Certes, ses avocats vont tenter de s’appuyer sur sa relaxe pour obtenir un renversement du jugement précédent. Pour l’instant, il est blanchi au pénal mais reste ruiné au civil.

Cette ambiguïté reflète le personnage. Symbole des années fric, Tapie a souvent mordu la ligne. Mais il a réussi à limiter la casse sur le plan judiciaire grâce à son énergie procédurière et à fasciner une partie du public par son insigne talent de bateleur et de débatteur. Drôle de parcours, au fond : ses qualités oratoires et son habileté auraient autrement brillé s’il les avait mises au service d’une idée, d’une cause, d’une ambition républicaine. Il a préféré le rôle de corsaire des affaires et de leader populiste avant la lettre. L’argent et la chicane étaient ses mantras, tous deux ont gâché au moins vingt ans de sa vie, passés à défendre un magot et à combattre les juges. Il a été puni par où il avait péché, le fric qu’il n’a plus, les procès à répétition qui l’ont tout entier absorbé.

Les défenses immunitaires de la société française, somme toute, existent encore. Précurseur, cynique assumé, en piste pour la mairie de Marseille après avoir été député et ministre, Tapie aurait pu être un Berlusconi français, un Trump plus précoce et moins droitier. Mais après en avoir usé, la classe politique a fini par le rejeter, sentant qu’elle avait favorisé une créature qui menaçait de lui échapper. Quant aux juges et aux hauts fonctionnaires, ils ont opposé à sa résistible ascension des obstacles répétés qui ont fini par l’épuiser. Amère revanche, au bout du compte, que cet ultime jugement.

LAURENT JOFFRIN

 



10/07/2019
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