Gerard Viale Auteur

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La quotidienne de Laurent Joffrin

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La lettre politique de Laurent Joffrin

 

La défaite de la pensée Finkielkraut

On connaît l’aphorisme d’Audiard : «Un con qui marche va plus loin que deux intellectuels assis.» Il vient de trouver une traduction spectaculaire lors de ces européennes, à droite en, tout cas : un philosophe en tête de liste va moins loin que deux politiques en campagne. C’est la mésaventure de François-Xavier Bellamy, penseur du conservatisme versaillais, écrasé entre les deux machines électorales Macron et Le Pen. Le héraut malheureux des tradis a élégamment reconnu sa déconfiture. A vrai dire, c’est moins l’homme qui est en cause que ses idées.

Peut-être parce qu’il regarde trop la télévision, son mentor Laurent Wauquiez a pensé que l’omniprésence des chroniqueurs réacs dans les studios lui montrait la voie. Il est vrai qu’on pouvait s’y tromper : entre Eric Zemmour, Ivan Rioufol, Elisabeth Lévy, Alexandre Devecchio, Natacha Polony, Vincent Trémolet de Villers, Charlotte d’Ornellas, Mathieu Bock-Côté, Eugénie Bastié, André Bercoff, Geoffroy Lejeune, une nuée de publicistes conservateurs s’est abattue sur les studios comme une volée de corbeaux sur un champ labouré, survolés par l’aigle précurseur et académique Alain Finkielkraut, qui est le contraire d’une buse. Transmission, tradition, autorité, identité, «racines chrétiennes», lutte contre la décadence, contre Mai 68, contre l’islam, la PMA, le mondialisme, le start-upisme, le politiquement correct, l’immigration, le «grand remplacement», le pédagogisme, le mariage pour tous, le multiculturalisme, la GPA, la «théorie du genre» : tous ces thèmes, qui sont le fond de sauce d’un anticonformisme uniforme, semblaient occuper les esprits et les cœurs. Ni une ni deux : on offrirait la tête de liste à l’un de ces intellos-Figaro dont la valeur paraissait si actuelle, le jeune François-Xavier, propre sur lui et féru de pensée anti-moderne, soutenu à bout de bras par le concert tympanisant de la «presse Trocadéro» bien décrit dans Libé par Jérôme Lefilliâtre. Résultat : 8%.

Cette gamelle démontre, s’il en était besoin, l’emprise toute relative exercée par les médias sur les électeurs, à des années-lumière du schéma déterministe popularisé par la sociologie bourdieusienne. Symbole de cette autonomie imprévisible du sujet votant, du découplement qui sépare le lecteur de l’électeur, le spectateur du citoyen : à Neuilly, dans le XVIearrondissement de Paris, à Versailles même, la droite Hermès a laissé tomber comme une vieille soutane le pauvre Bellamy, trahi par les siens jusque dans ses fiefs de principe, portant au pinacle électoral Macron le mondialiste sans âme. Conclusion implacable : la pensée conservatrice a conquis dans les médias une place disproportionnée par rapport à son impact réel sur la société. Elle est distancée par la xénophobie popu du RN et par l’élitisme libéral d’En Marche. Le peuple ne se met pas en transe quand on lui parle «racines chrétiennes» et famille tradi ; la bourgeoisie pense moins en lisant des livres qu’en tâtant son portefeuille. Macron-Medef qui abolit l’ISF, allège les impôts sur les revenus du capital, libéralise le code du travail, réforme la SNCF au forceps, lui convient somme toute mieux que les Cassandre souverainistes de la décadence occidentale. Au bout du compte, les classes dirigeantes aiment plus les costumes tuyau de poêle du Président que les vestes de chasse Arnys de Fillon. La droite classique, désormais, ce n’est plus Wauquiez tendance Valeurs Actuelles. C’est Macron.

LAURENT JOFFRIN



30/05/2019
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