Gerard Viale Auteur

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La quotidienne de Laurent Joffrin

 

La lettre politique de Laurent Joffrin

 

Jadot entre melon et citrouille

 

Blague entendue dans un cercle de gauche : au siège d’Europe Ecologie-Les Verts, il a fallu élargir la porte d’entrée, la tête de Yannick Jadot n’y passait plus. Variante proposée la semaine dernière par Ian Brossat, révélation communiste des élections européennes, qui se plaint de la posture du leader écologiste : «Fort heureusement, la saison du melon s’achève.» C’est un fait que les quelque 12% obtenus par la tête de liste écologiste aux européennes ne l’ont pas incité à la modestie. Situation risquée. Le melon en politique est une plante hallucinogène et souvent les carrosses espérés se changent en citrouille.

Jadot a compris le message et gommé, comme ce week-end sur France-Inter, ou sur Radio-Classique ce matin, les maladresses nées de l’ivresse du succès. Fort de son embellie électorale et sondagière (notamment dans les enquêtes portant sur les municipales), il se voit présidentiable – c’est le droit de tout leader politique. Il estime surtout que les autres formations, survivances décaties d’un passé révolu à ses yeux, doivent désormais venir à résipiscence et se rallier sans moufter à son panache vert. Outre que c’est entamer la discussion par une humiliation, ce qui n’est guère habile, l’absorption de toute la gauche dans l’écologie pose tout de même quelques problèmes. Et notamment celui-ci : quelle écologie défend-il ?

Chacun s’accorde sur l’urgence de la situation, mais avec des divergences en fait profondes. Il y a, non pas cinquante nuances de vert, mais trois principales. Du vert foncé au vert pâle, on trouve d’abord les «effondristes» ou «collapsologues», qui annoncent l’apocalypse pour demain ou presque. En parlant de «la fin du monde», en agitant le spectre de la chute de civilisation, les leaders écolos semblent parfois s’y rallier. Mais si tel est l’avenir proche, il faut réagir par des mesures d’une extrême radicalité, proches de celles qu’on prend en temps de guerre : rationnement, sortie des énergies fossiles en quelques années, mode de vie austérissime, etc. Jadot, très clairement, sans jamais nier les risques nés de la situation de la planète, écarte cette vision des choses. Il plaide au contraire pour une écologie «souriante», tout le contraire des lugubres prophéties de la collapsologie.

D’autres plaident pour la décroissance, sans la définir d’ailleurs très précisément (on parle alors de «post-croissance», concept flou à souhait). Mais si le PIB se contracte rapidement, d’une manière ou d’une autre, comment financera-t-on les investissements massifs nécessaires à l’isolation des bâtiments, au développement des énergies renouvelables, à l’instauration d’un système de transport zéro carbone, comment organisera-t-on la compensation monétaire dont les classes populaires auront besoin pour ne pas voir leur niveau de vie, déjà éthique, diminuer brutalement ?

Le troisième courant, celui de la «croissance verte», très contesté dans les cercles militants, mais majoritaire parmi les responsables politiques sensibles à l’écologie, estime qu’on peut concilier développement et écologie. Suppose-t-il le maintien d’un système de marché ou le passage à une économie beaucoup plus collective qui nous ramène aux problématiques classiques du socialisme et, si oui, dans quelles conditions ? Jadot semble se rattacher à cette stratégie : il accepte l’économie de marché (régulée) et fait l’éloge des entreprises (responsables), ce qui le rapproche des sociaux-démocrates européens. Mais il élude discrètement la question de la croissance. Quelle est sa véritable position ? Mystère et boule de gomme (végétale).

Ces affaires, qui sont très sérieuses, ne mériteraient-elles pas discussion publique au-delà du parti vert, d’autant qu’il faut aussi définir une ligne de conduite sur des sujets plus éloignés de la problématique écologique, tels que l’immigration, la laïcité, l’éducation, la politique étrangère, le sort des classes populaires, les zones désindustrialisées, les services publics, la santé, sur lesquels les Verts défendent des positions qui ne sont pas celles de toute la gauche. Le rapport à la nature est décisif dans tout projet futur. Il n’épuise pas tous les problèmes, loin de là. Voilà qui suppose débat précis et stratégie cohérente. En un mot, pour envisager l’avenir de la planète, chacun comprend qu’il faut redescendre sur terre.

 

LAURENT JOFFRIN

 



03/09/2019
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