Gerard Viale Auteur

Gerard Viale Auteur

Rouge homard et ministre vert

 

La lettre politique de Laurent Joffrin

 

Rouge homard et ministre vert

 

Pour les hommes publics, il y a des objets maudits, dont le simple contact, dans certaines circonstances, peut être mortel, un peu comme la pomme de Blanche-Neige ou le fuseau de la Belle au bois dormant. Ainsi les chaussures trop bien cirées d’Aquilino Morelle, les cigares de Christian Blanc, le jet privé d’Alain Joyandet, la Porsche qui a véhiculé Dominique Strauss-Kahn, les taxis d’Agnès Saal, le marbre de Carrare de Jacques Attali, les diamants de Giscard, les médailles du président Grévy, etc. Et maintenant, les homards géants de François de Rugy. L’objet, par sa force symbolique, ajoute sa part d’irrationnel, d’emblème maléfique, à des pratiques qui peuvent être scandaleuses, contestables, illicites ou anodines. Objet transactionnel du ressentiment populaire, il plonge dans l’embarras celui qui a été contaminé par leur simple contact, qu’il soit coupable ou innocent.

Dans le cas du ministre de la Transition écologique, il y a peut-être, derrière ce homard, anguille sous roche. Car sur le fond, la question n’est pas tant le menu des dîners fins de l’hôtel de Lassay (la présidence de l’Assemblée est en tout état de cause, une table renommée, dotée d’une des meilleures caves de France), que leur nature : publique ou privée. François de Rugy a-t-il convié à dîner, non des «représentants de la société civile», mais plus trivialement ses amis personnels ou ceux de son épouse ? Il s'en défend et les témoignages sont sur ce point contradictoires. Ces amis étant par ailleurs «membres de la société civile» comme tout un chacun (nous le sommes tous, du SDF au PDG), il a une ligne de défense toute trouvée. C’est le homard qui fait la différence (et le Cheval Blanc en magnum). Aurait-il mangé des topinambours que sa situation serait meilleure…

Les temps sont à la rigueur éthique. Rugy peut-il se maintenir, tant le homard à la rouge carapace est provocateur après le mouvement gilet jaune ? Le site Mediapart pourra-t-il accrocher à son tableau de chasse une nouvelle tête de ministre? On ne sait, mais l'affaire laissera une trace : elle alimentera une nouvelle fois le désaveu des poltiiques qui mine la démocratie française. Dans ces conditions, le gouvernement ne peut rester inerte. D’abord parce que dans cette période de rejet de la classe politique, les élus (ou les élues) doivent être comme la femme de César : on ne doit pas pouvoir les soupçonner. Ce homard serait-il anodin, habituel, régulier, blanc-bleu quoique rouge, muni de tous ses papiers et laissez-passer, qu’il serait encore de trop. Question de tact politique. Le général de Gaulle payait lui-même – exemple légendaire – la note des repas familiaux qu’il tenait à l’Elysée. Nommant Georges Pompidou à Matignon, il eut avec lui ce dialogue :

«Pompidou, il paraît que vous passez vos vacances d’été à Saint-Tropez.

– Euh, oui, mon général, cela m’arrive.

– Vous êtes Premier ministre, vous irez en Bretagne.»

Quand l’opinion est métaphoriquement prête à mettre la tête des élus au bout d’une pique, mieux vaut éviter les fastes de Versailles, ou ceux de Lassay. La République aurait avantage, au passage, à simplifier encore le train de vie des ministres et des députés (elle a commencé) et à réserver ses pompes aux visiteurs étrangers.

Reste une interrogation : si Rugy est condamnable pour ses agapes mi-parlementaires mi-privées, quid d’un ministre de l’Economie qui invite à sa table le tout-establishment, non pour parler industrie ou finance, mais pour préparer son raid sur l’Elysée ? Dîner aux frais de la princesse avec ses potes ou avec ses soutiens, quelle différence ? Le bruit fait autour de Rugy, écologiste vert émeraude, couvre pour l’instant la question.

LAURENT JOFFRIN

 

 



12/07/2019
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